Friday, November 11, 2005

"Why France is Burning" by Christophe Barbier

Etat d'urgence: c'est la réponse du pouvoir aux émeutes dans les banlieues. Mais il est déjà perdant dans cette crise de régime où il paie dix ans d'échecs de Jacques Chirac et trente ans de fiasco de la politique de la ville

[Subtitle] State of emergency: such is the authorities' response to the suburban riots. But they're already the losers in this crisis of regime, which is paying for ten years of Jacques Chirac's failures and thirty years' worth of urban political fiascos.

Ainsi va la France: jamais elle ne produit les crises que l'on attend ou pronostique. On guettait l'humeur des syndicats tout au long de cet automne, et ce sont les banlieues qui ont sauté à la figure du pays. Un embrasement sans précédent, qui stupéfie le monde, ruine l'image de la France à l'étranger et devient de plus en plus dangereux pour ses habitants. Nul autre pays, il est vrai, n'est capable de basculer aussi soudainement dans un drame national. Parce que l'Etat y est plus omnipotent que partout ailleurs, les désordres y prennent vite une ampleur exceptionnelle et des allures de révolution. Rien ne s'y joue d'important sans que les gouvernants soient mis en cause. S'il est bien un fait politique majeur dans ces journées de révolte, au-delà de la fracture sociale, qui jaillit des cités comme un volcan de terre, c'est cette confrontation directe entre le pouvoir et des émeutiers parfaitement conscients de défier l'ordre public.

So it goes in France: she never produces crises we can expect or predict. We'd been watching the unions all fall, but it was the suburbs that blew up in our faces. An unprecedented flareup, stupefying the world, is ruining France's image abroad and becoming increasingly dangerous for its inhabitants. No other country is capable of plunging so suddenly into a national drama. Because the State is more powerful there [i.e., in France] than anywhere else, disturbances quickly blow up to exceptional size and take on a revolutionary aspect. Nothing important happens without the governing powers' being called into question. If there's any major political fact in these days of revolt, a revolt which erupts from the projects like a volcano, it is this direct confrontation between the authorities and the rioters, who are perfectly aware that they challenge the public order.

Pour le gouvernement et le chef de l'Etat, cette épreuve est à hauts risques, car tout y est imprévisible. Certes, le pouvoir a choisi la manière forte pour ramener le calme en réveillant la loi de 1955 sur l'état d'urgence, qui autorise les préfets à décréter le couvre-feu; mais, même s'il parvient à ses fins, il en sortira terriblement affaibli. On ne peut vouloir incarner la sécurité et l'ordre et être ainsi malmené. C'est la crédibilité de la droite qui est en question sur son terrain de prédilection. Celui-là même qui avait permis à Jacques Chirac de se faire réélire en 2002. Le chef de l'Etat, à dix-huit mois de la fin de son mandat, se retrouve dans une double situation d'échec: la fracture sociale, qu'il voulait refermer en 1995, devient une immense crevasse sous ses pas; l'ordre public, dont il était le champion, est balayé par une révolte qui peut se transformer en chienlit nationale, tant le ras-le-bol et la souffrance vont bien au-delà des banlieues.

For the government and the Head of State, the current trial is fraught with risk, because nothing is foreseeable. The authorities have chosen strong-arm tactics to restore calm by bringing back the 1955 state of emergency law, which authorizes the prefects to declare curfews. But even if it achieves its goals, the state will emerge from the crisis terribly weakened. A longing for the restoration of security and order can still result in a mishandling of the situation. It's the credibility of the Right that's in question, and on its home turf, too: the very turf that was the basis for Jacques Chirac's reelection in 2002. The Head of State, eighteen months away from the end of his term, finds himself facing a double failure: social fragmentation, which he wanted to heal in 1995, has widened into an immense crevasse under his feet; and public order, which he has championed, has been swept aside by a revolt that could turn into a national disaster, inasmuch as exasperation and suffering extend well beyond the suburbs.

Autant dire que sa politique est en dépôt de bilan. Il faudrait peu de chose pour que ce soulèvement se transforme en crise de régime. Tous les ingrédients du collapsus politique sont réunis. Même si les ferments sont très différents de ceux de Mai 68, la situation est comparable: une chienlit sociale qui révèle un danger majeur de désagrégation de la société et un pouvoir dont les commandes ne répondent plus, faute de savoir anticiper les événements et les gérer. Le déphasage entre le sommet de l'Etat et la réalité est si criant que le château de cartes peut s'effondrer. La crise peut, évidemment, retomber, mais le feu continuera à couver sous la cendre, rendant la situation incertaine et alimentant une inquiétude que le pouvoir aura bien du mal à assumer face au reste de la population. Or une nation ne peut vivre durablement avec un pouvoir qui ne sait pas la soulager de ses peurs. Les révoltes peuvent s'amplifier et pousser les gouvernants à une véritable répression. Mais une nation démocratique ne peut vivre durablement en état de siège.

Suffice it to say that [Chirac's] politics are in thrall to the bottom line. It wouldn't take much for this uprising to turn into a crisis of authority. All the ingredients for a political collapse are in place. Even if the [current] dynamics are very different from those of May 1968, the situation is comparable: a social disaster reveals a major danger about the breakup of society-- and [we again see] a ruling power whose controls are no longer responsive because of its inability to anticipate and manage events. The disconnect between the upper ranks of government and actual reality is so severe that the house of cards might collapse. The crisis could, of course, diminish, but the fire would continue to smolder beneath the ashes, making the situation uncertain and feeding a popular disquiet for which the powers that be would have no response. A nation cannot long live with a government that does not know how to assuage its fears. The [current] revolts could get worse and push the governing authorities toward out-and-out repression. But a democratic nation cannot endure in a state of siege.

Tout peut donc arriver. Une chose est certaine: comme en 1968, le pouvoir, s'il impose l'ordre, remportera une victoire à la Pyrrhus, car, quelle que soit l'évolution des événements, il en sortira perdant, tant son autorité a déjà été piétinée. Durer jusqu'à l'échéance électorale de 2007 sera un bien long marathon, voire un calvaire, si les périls demeurent. Comment redresser le pays quand la base de toute politique, l'ordre, vacille? La droite paie à la fois une addition de dix ans, avec l'incapacité de Jacques Chirac à recoudre la nation française, et une ardoise de trente ans, celle de l'incurie collective en matière de politique de la ville. Avec la récurrence des flambées et la permanence des problèmes, il existe au premier regard une fatalité des banlieues françaises, comme si le fameux «On a tout essayé», que François Mitterrand avait appliqué au chômage, était valable pour les quartiers en difficulté. Mais il en est de la ville comme de l'emploi: tout a été essayé, sauf ce qui marche.

So-- anything goes. One thing is certain: just like 1968, the authorities, if they impose order, will have won only a Pyrrhic victory because, no matter what happens, they will be the losers insofar as their authority will have been been trampled. The road to the 2007 election promises to be a long marathon, even a Calvary, if the perils remain. How to bring the nation back to its feet when the basis of all politics, order, is vacillating? The Right is now paying a bill ten years in the making, with the inability of Jacques Chirac to stitch the French nation back together. There is another bill to be paid, this one thirty years old, sprung from the collective lack of care about "urbanism," city politics. With the reappearance of violent flareups and the permanence of its problems, there seems at first glance to be a sort of fate at work in the French suburbs, as if the famous "We've tried everything," which François Mitterrand applied to unemployment, were valid for the districts now experiencing hardship. But what was true about jobs does hold equally true for the cities: everything's been tried, except for what works.

Pas de fatalité, donc, mais un long fiasco français. Gauche et droite, fonctionnaires et élus, permissifs et sécuritaires s'y sont cassé les dents. Avec une certaine résignation, puisque, entre deux crises, les zones sensibles étaient sous contrôle. Et la recette s'imposait: faire ce que l'on peut pour arriver à pas grand-chose mais éviter le pire. Cette fois, le pire est là. C'est la France, pourtant, qui a inventé la politique de la ville, pour que vivent ensemble, dans des cités mal pensées, des populations mal intégrées. Des années 1980, avec le «développement social des quartiers», au plan de Jean-Louis Borloo en août 2003 (30 milliards d'euros, 200 000 logements détruits, autant de reconstruits et autant de rénovés), l'ambition n'a cessé de croître, les moyens de fluctuer et les illusions de s'éteindre. Avec le couple Borloo- Sarkozy, doté de grands moyens financiers, la droite croyait avoir équilibré répression et social. Depuis deux semaines, preuve est faite que la France boite encore. L'alliance du béton et du bâton ne suffit pas.

Not fate, then, but a long French fiasco. Left and Right, functionaries and elected officials, doves and hawks, have broken their teeth on the crisis-- and this with a measure of resignation since, [in the intervening time] between two crises, the sensitive zones had been under control. The old formula is back: do what we can to arrive at not much of anything, but avoid the worst. But this time, the worst is here. It was France that invented urban politics-- to allow badly integrated populations to live together in poorly conceived projects. From the 1980s, with the "social development of the districts," to Jean-Louis Borloo's plan in August 2003 (30 billion euros; 200,000 residences razed; an equal number built and an equal number renovated), ambitions haven't stopped growing. With the heavily financed Borloo-Sarkozy partnership, the Right thought it had balanced repression and social issues. For two weeks, though, we have seen proof that France is still limping. The alliance between concrete and truncheon* is not enough.

Pourquoi ces trente ans d'échecs? D'abord, parce que le chômage a noyé toutes les bonnes volontés, ruinées aussi par l'effondrement des autorités, de l'Etat à la famille, en passant par l'école. Ensuite, parce que l'administration, et non les élus, a mené les réformes. Ou plutôt les administrations, qui toutes inventèrent leur dispositif, provoquant un vaste saupoudrage et une grande confusion, aucune mesure n'effaçant les précédentes. Enfin, la France a toujours alterné le global et le local, le plan d'Etat et le sur-mesure municipal. Le plan Borloo a tranché en faveur du second, sanctuarisant des crédits monstres pour des projets pensés au cas par cas. Lentement, le paysage urbain change, même si le ministre convient que l'Ile-de-France manque de terrains libres pour parfaire cette mue. Mais les habitants ne se changent pas comme des ascenseurs en panne. Le bâti peut être repris jusqu'en ses fondations, le facteur humain est beaucoup plus complexe à corriger. Or le problème des banlieues est aussi, peut-être avant tout, un problème de population.

Why thirty years of failure? First, because unemployment has drowned every ounce of good will, which has also suffered from the collapse of authority, from the State to the family, by way of the schools. Next, because the administration and not the elected representatives has been spearheading the reforms. Or rather the administrations, each inventing its own system, creating widespread static and confusion, with none of the newer measures nullifying the previous ones. Finally, France has always shifted between the global and the local, state planning and municipal measures. The Borloo plan skewed in favor of the latter; sanctioning monstrous funds for projects thought up on the fly. And, slowly, the urban landscape is changing, even while the minister admits that Ile-de-France lacks the free space to perfect this transformation. But people can't be changed out like faulty elevators. While something that's been built can be taken back down to its foundations, the human factor is a much more complicated thing to correct. The suburban problem is, perhaps above all else, a population problem.

Beurs en retrait, jeunes Noirs en pointe
C'est l'ultime tabou français: «Vaut-il mieux traiter les “lieux'' ou s'occuper des “gens''?» demande Marie-Christine Jaillet, chercheuse à l'université Toulouse-le Mirail. Depuis la Marche des beurs, en 1983, on sait que le «qui» l'emporte sur le «où», mais les gouvernements ne savent que répondre. Aujourd'hui, dans les émeutes, les beurs sont en retrait et les jeunes Noirs en pointe, mais les observateurs ne savent comment le dire. «Modèle républicain oblige, poursuit Jaillet, il n'est pas politiquement correct, en France, de prendre en compte la dimension ethnique», que la récupération par le FN a par ailleurs incité à «euphémiser». La question est désormais ouverte et, avec pragmatisme, la France doit lui apporter des réponses. Parce que l'urbanisme n'est pas la seule solution pour ces jeunes Français qui ne croient pas à la France, au point d'y mettre le feu. Ni l'état d'urgence, la seule réponse pour ceux qui voient brûler leur voiture.

[Subtitle] Arabs** in retreat, young Blacks at the front

It's the ultimate French taboo: "Should we be dealing with 'places' or with 'people'?" asks Marie-Christine Jaillet, a researcher at the Universiy of Toulouse-le-Mirail. Since the Arab March of 1983***, we know that the "who" takes precedence over the "where," but governments know only how to react. Today, in the riots, Arabs are falling back and young Blacks are at the front, but observers don't know how to express this. "The republican model obliges us," says Jaillet, "It's not politically correct in France to talk about the ethnic situation," which, thanks to the National Front's comeback, has prompted "euphemizing." The question is now in the open, and France needs to come up with pragmatic responses to it: urbanism is not the only solution for these French youths, whose lack of belief in France leads them to set it on fire. Nor is [the declaration of] a state of emergency the only response for those who see their cars burning.





*"L'alliance du béton et du bâton" is a clever pun. "Le béton" means "concrete," a reference to Borloo's building projects. "Le bâton" means "stick" or "baton," as in a police baton. I was sorely tempted to preserve the punniness by translating that phrase as "the alliance between brick and stick," brick being a building material, and "stick" being a reference to the "nightstick." What do you think? Is that a better choice of words?

**"Beurs" is defined in one dictionary as: (nom commun) Jeune Maghrébin né en France. = a young Maghrebin born in France.

***La Marche des Beurs = a huge protest march in 1983 following rioting in the Arab quarters. The purpose of the march was anti-racist and pro-egalitarian. A French article from 2003, reminiscing on the 20th anniversary of the Arab March, can be found here. If anyone's interested, I'll translate the article, which contains a good bit of history and shows how, in the space of only two decades, history seems to be repeating itself at increasingly frequent intervals in France.


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